Ils découvrent leurs faibles marges de manœuvre

Les dirigeants européens s’illusionnent-ils sur les marges de manœuvre dont ils disposent pour contrer Donald Trump ? À force, ils devraient finir par connaitre le personnage et avoir compris que l’heure n’est plus à se contenter de rouler les mécaniques.

Au prétexte que le dollar joue un rôle déterminant dans les activités commerciales internationales, ce pouvoir s’est arrogé le droit de les régenter et ne s’en prive plus. L’extraterritorialité juridique est devenue la norme, plaçant les autorités européennes sur la défensive.

La prééminence du dollar s’appuie également sur la puissance financière américaine, notamment via les fonds monétaires où les banques du monde entier vont se financer sur le vital marché des « repos ».

Forts de cette domination, les États-Unis se sont arrogés le droit de poursuivre et de sanctionner toute entreprise qui enfreint sa loi dès lors qu’elle utilise le dollar et ses circuits financiers pour ses transactions. Rappelons le cas emblématique de la sanction de BNP Paribas, en 2014, qui a versé 8,9 milliards de dollars pour avoir effectué des transactions avec l’Iran, qui était sous embargo américain. Et les autorités européennes ont à l’époque laissé faire.

On connaissait la puissance militaire américaine et sa puissance monétaire, il faut désormais compter sur une puissance juridique qui transcende la souveraineté des États, permettant aux autorités américaines de modeler le monde à leur guise au prétexte de défendre leur « sécurité nationale ».

Face à cet étalage de puissance et à ces prétentions, que reste-t-il à négocier ? Avec les Français, les Allemands découvrent l’étendue des sanctions qui pourraient frapper leur industrie. Mais, pathétique, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ne dévie pas de sa ligne floue : « entre européens, nous devons mettre en place les mesures nécessaires pour protéger les intérêts de nos entreprises et entamer des négociations avec Washington sur ce sujet ». Plus incisif, Bruno Le Maire lève l’étendard de la défense de la « souveraineté économique » de l’Europe et déclare que « il est temps de passer aux actes », proposant à ses homologues allemands et britanniques d’en discuter…mais fin mai. Une loi de l’Union européenne de 1990 pourrait certes donner une assise juridique aux entreprises décidant de ne pas obéir aux injonctions américaines, mais seront-elles  pour autant prémunies de la fermeture de leur accès au marché américain ?

Le ministre propose une deuxième piste, qui consisterait à adopter  les moyens dont les autorités américaines se sont dotées afin de vérifier le comportement des entreprises américaines en Europe, ouvrant ainsi la porte à d’éventuelles sanctions en cas de manquement. Mais il émousse lui-même l’arme qu’il brandit, demandant simultanément à Steven Mnuchin « des exemptions » ou « des délais d’application plus longs » pour les entreprises françaises s’étant déjà engagées en Iran, tout en reconnaissant ne pas se faire « trop d’illusions sur la réponse américaine ». Tergiverser ne mènera nulle part. Seule la voie de la confrontation ouverte, au risque de l’escalade il est vrai, pourra donner un résultat tangible.

L’Union européenne subit un triple choc : à celui du Brexit, toujours aussi cafouilleux, et de la campagne de révision forcée des relations commerciales avec les États-Unis, s’ajoute désormais les conséquences de la sortie américaine de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce calvaire n’en finira donc jamais ?

Par son interventionnisme, Donald Trump menace les exportations allemandes. Les autorités allemandes n’ignorant pas les poids respectifs des marchés américain et iranien, il sera difficile de les inciter à s’engager très loin. Mais la posture allemande faite d’inaction, que ce soit vis-à-vis de la politique américaine ou de la relance de l’Europe, ne sera pas tenable éternellement. Lors de son discours à Aix-La-Chapelle, Emmanuel Macron a souligné son impuissance en énumérant quatre commandements qui ne vont pas être suivis d’effet. La solennité du propos ne remplace pas le passage à l’acte, quand l’immobilisme prévaut par défaut.

Mais un évènement nouveau pourrait intervenir, si un gouvernement associant la Ligue et le Mouvement des 5 étoiles voyait le jour. Les deux partis qui n’étaient pas parvenus à s’entendre ont demandé un délai de 24 heures, puis de trois jours, au président Sergio Mattarella dans le but de se mettre d’accord. Le nom du premier ministre qui pourra sortir de ces tractations de la dernière chance et le programme de son gouvernement ne sont pas indifférents, mais il est déjà assuré que sa tonalité sera eurosceptique, et qu’il sera en permanence tenté de franchir la ligne jaune. Le bruit circule déjà que les deux partenaires présumés se seraient mis d’accord pour annuler la réforme des retraites, établir un revenu de base universel ainsi qu’un impôt à taux unique, et à étudier la mise en place d’une monnaie parallèle à l’euro.

 

21 réponses sur “Ils découvrent leurs faibles marges de manœuvre”

  1. « Forts de cette domination, les États-Unis se sont arrogés le droit de poursuivre et de sanctionner toute entreprise qui enfreint sa loi dès lors qu’elle utilise le dollar et ses circuits financiers pour ses transactions. »
    De quel droit ? Celui du plus fort ?
    Il y a quand même quelque chose de révoltant dans cette situation.
    Quelle crédibilité vont avoir les USA pour les négociations coréennes ?

    1. Ben , le « rapport de forces » , c’est ça .

      Jusqu’au jour où les forces changent .

      La crédibilité des USA dans la signature d’accords est effectivement atteinte , avec déjà une entorse sur les accords de Paris récents .

      « L’accord  » avec les nord coréens en sera d’autant suspect que je me méfierais aussi de la crédibilité des nord coréens si la Chine n’était pas aux premières loges .

      1. @Juannessy
        Il n’y a pas à se soucier de la crédibilité des nord-coréens. Le régime n’a pas le choix. La frontière avec la Chine est une passoire et c’est par ce biais que la classe moyenne du nord a accès à la modernité du monde extérieur (c’est fou tout ce qu’on peut stocker dans une petite clé usb qui tient dans la poche) avec la convoitise qu’elle suscite. Le rapport de forces, justement, Mister Kim l’a bien compris avec son roulage de mécaniques nucléaires, même s’il n’a jamais eu réellement l’intention d’attaquer qui que soit. On ne négocie pas les mains vides.
        Les tentatives de rapprochement précédentes ont échoué du fait de l’alternance politique au sud et aux USA qui ont vu arriver au pouvoir des « faucons » de droite de la pire espèce.
        Mais pour éviter une implosion qui d’ailleurs n’arrangerait les affaires ni de la Corée du sud, ni de la Chine, le nord n’a pas vraiment d’autres choix qu’une transition « à la chinoise ».
        Il n’y a plus qu’à espérer que l’autre timbré arrête ses conneries.

        1. « On ne négocie pas les mains vides. » nous dites vous cher arkao, en nous présentant Kim Jung Un comme un bluffer, en même temps vous nous parlez de risque d’implosion: « éviter une implosion », donc un bluffer qui peut quand même avoir une ou deux cartes à jouer.

          Comprendra qui pourra !

          Personnellement je pense que le gouvernement nord coréen a les moyens d’envoyer un pétard sur Séoul, voir sur une base américaine.

          La partie est loin d’être jouée. Et je soupçonne même le gouvernement US d’être en train se faire berner. Le temps joue en faveur de la Corée du Nord, par extension à l’avantage de la Chine. Si il manquait quelques mois à Kim Jung Un pour parfaire la légitime dissuasion de son pays, et bien Trump lui offre sur un plateau.

          1. @Eninel
            J’ai du mal m’exprimer. Il y a un risque d’implosion du régime nord-coréen car sa population urbaine n’est plus ignorante des réalités du « miracle économique » de ses voisins. Ni la Chine, ni la Corée du Sud ne voient d’un bon œil ce scénario (flux de migrants, entre autres). Kim Jung Un a plus intérêt à engager une ouverture contrôlée de son pays.
            L’arme nucléaire et ses vecteurs, dont je n’ai pas nié les performances, sont à comprendre ici comme essentiellement dissuasifs. Il se dit que Kim a été profondément marqué par ce qui s’est passé en Libye.
            Je ne sais pas si le gouvernement US est en train de se faire berner, mais en tout cas les pourparlers jusqu’à aujourd’hui se sont déroulés dans son dos entre les deux Corée, la Chine et dans une moindre mesure le Japon.

          2. Tout à fait d’accord sur le caractère strictement dissuasif de l’arme atomique, relevant pour tout le monde de la sphère politique et non militaire.

            Il n’y a qu’un seul pays sur cette planète, je vous laisse deviner lequel, qui au travers de sa nouvelle posture nucléaire et du développement de mini-nukes, envisage l’usage offensif de cette arme.

            https://media.defense.gov/2018/Feb/02/2001872886/-1/-1/1/2018-NUCLEAR-POSTURE-REVIEW-FINAL-REPORT.PDF

            Sans oublier les Israéliens, qui eux ne nous font même pas la grâce de publier leur doctrine d’emploi.

        2. Je dois vous avouer que j’ai du mal à comprendre le gouvernement nord coréen entrain de tourner le dos à toute sa politique étrangère passée.

          Ce soir il annonce de son intention de saboter ses installations nucléaires, même si « ..;Certains experts ont estimé qu’il s’agissait d’une concession de façade car le site pourrait être déjà inutilisable en raison du «syndrome de la montagne fatiguée»… ». (Le Figaro).

          Quelles sont les garanties d’un tel revirement ? Peut-on d’ailleurs être naif à ce point, de croire les promesses de l’impérialisme et de la bureaucratie chinoise ?

          «Si la Corée du Nord prend des mesures énergiques pour dénucléariser rapidement, les Etats-Unis sont prêts à travailler avec la Corée du Nord pour qu’elle atteigne la prospérité de nos amis sud-coréens», avait déclaré Mike Pompeo lors d’une conférence de presse avec son homologue sud-coréen à Washington.

          Enfin toute cette affaire est absolument étonnante, et je n’aimerais pas être la présentatrice vedette nord coréenne, et être obligé d’aller expliquer au peuple coréen une telle politique que je crois suicidaire.

          Le pire c’est que le gouvernement nord coréen semble baisser sa garde à un moment où le tigre sort ses griffes partout ailleurs.

          Vraiment étonnant ?!?!?!!!

          1. « Ce soir il annonce de son intention de saboter ses installations nucléaires »
            Non, seulement un site d’essai !

    1. Il « va » falloir plus que des slogans .

      En fait les marges de manœuvre sont connues comme faibles depuis longtemps . Trump les révèlent crument parce que le déclin progressif des USA le pousse à des actes « volontaristes » de faibles, comme un gamin capricieux détruit le jeu quand il ne gagne plus à tous coups .

      Il va falloir justement se donner des marges .Ça va prendre un peu de temps , si tant est qu’on arrive à décider enfin de se mettre d’accord à plusieurs sur un « business model  » qui va au delà du business as usual qui perpétue le capitalisme américain .

      Entre temps, il ne sert à rien de pointer des peuples émissaires ou de verser dans l’angélisme .

      Sois « fort » et tais toi .

  2. Je viens de lire un article de Mediapart, écrit par Jordan Pouille, sur Black Rock « le Léviathan de la finance » (je le cite).
    Entre cet article et les analyses de Monsieur Leclerc, je vais mettre un peu de temps à me remettre et à espérer que les futures élections européennes porteront la voix des européens.

  3. Le droit du plus fort est unanimement reconnu depuis la nuit des temps. Donc des questions se posent :
    1°) Jusqu’à quel point les Etats-Unis restent-ils les plus forts ?
    2°) S’il y a rupture avec les Européens (ou tel ou tel d’entre eux) le restent-ils ?
    3°) S’ils cessent de l’être, que leur reste-t-il comme capacité de nuisance, et pour combien de temps ?
    Tout cela pour répondre à la vraie question :
    4°) Qu’est-ce qui me coutera le plus cher, rompre avec les US ou me soumettre ?
    Question à laquelle la France et l’Allemagne n’ont pas forcément la même réponse.

    1. C’est simple , il ne faut ni rompre avec les USA (qui ne se résument pas à Trump et aux intérêts qu’il incarne ) , ni se soumettre .

      L’équation n’a pas changé depuis cinquante ans .

      On y voit simplement un peu plus clair pour savoir ce qui cloche , dont un système économique assez largement évoqué ici , avec les pistes d’efforts à suivre pour y échapper .

      Pistes qui supposent un peu de sacrifices , et ce n’est pas les cris d’orfraie des retraités qui hurlent qu’on les écorche vifs quand on leur pique 50 euros de CSG , qui donnent de l’espoir qu’on peut parvenir à échapper à ceux qui ne crient pas .

      On cherche un Churchill européen .

      1. Je ne comprends pas pourquoi vous vous focalisez sur les seuls retraités qui, ont, par ailleurs , raison de protester et pas seulement en France.

        1. Je ne vois pas pourquoi ( un peu quand même , mais ce n’est qu’une supposition gratuite ) vous vous focalisez sur cet exemple , qui ne veut que mettre en évidence qu’on ne renverse pas un système sans sacrifices provisoires .

          Et quitte à faire des sacrifices autant que ça commence par des retraités pas trop à la ramasse .

          Signé : un retraité et fier de l’être !

  4. Quand De Gaulle a reconnu la Chine, a développé l’arme atomique et est sorti de l’OTAN, je ne pense pas qu’il se soit demandé « qu’est-ce qui nous coutera le plus cher ? »
    Il avait plus prosaïquement une vision politique et la volonté qui doit aller avec.
    Politique avec laquelle on pouvait être ou ne pas être d’accord.
    C’est un peu pareil aujourd’hui. La politique des pays européens vis à vis des Etats Unis d’Amérique du Nord est bel et bien assumée. Qu’elle nous déplaise est un autre sujet qui ne se règlera que dans de futures élections.

    1. On remarquera au passage que De Gaulle ne s’est pas cassé les dents sur « vive le Québec libre! » , mais sur un certain Mai 68 .

  5. Maxime Perrotin sur Sputniknews citant Pierre lelouche
     » …/… Pierre Lellouche, en bon juriste et ancien Secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, tient à rappeler, en trois points, les mesures qu’il suggère d’appliquer afin de sortir du piège des sanctions américaines.

    «1) Une saisine de l’OMC, pour une initiative contraire au commerce international
    2) une interdiction à nos entreprises de s’y plier, c’est la directive de blocage de 96, qui peut être complétée, y compris avec des lois de blocages prises au niveau national et
    3) il convient de publier la liste des entreprises américaines qui seraient susceptibles de subir des sanctions dans la mesure où elles bénéficieraient des problèmes causés à leurs concurrents européens.» …/… »

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